Skoda a une longue et riche histoire sportive, que nous vous avions raconté il y a quelques mois (lire aussi : Skoda Motorsport). Pourtant il y a un engin que vous ne connaissiez sûrement pas qui a survécu à l’histoire. La Skoda 1100 OHC représentait tous les espoirs de l’Est en 1958. Boîtier Rouge a retrouvé cet exemplaire unique et à même joué avec sur une ancienne base de la RAF pendant toute une journée. Direction l’Angleterre, pour une découverte très BR.
London Calling
A notre arrivée à l’aéroport d’Heathrow, je redécouvre avec joie cette ambiance typiquement Londonienne. A mon grand plaisir, les bus rouges à Impériale font toujours partie intégrante du décor. Si les célèbres Routemaster AEC (lire aussi : AEC Routemaster) ont depuis longtemps disparu, ils ont laissé place à des modèles néo-rétro à motorisation hybride. Mais ce qui fait vraiment plaisir c’est de voir que les Taxis Londoniens sont encore présents en nombre, pas encore tous remplacés par de vulgaires Mercedes Vito ou Nissan camionnettes. Les chinois de Geely (Volvo, Polestar, Lotus, Proton) ont racheté la marque et le concept et ont présenté dernièrement une version électrique (lire aussi : Le retour du Black Cab). London is not dead !
Rendez-vous est pris sur le parking où je découvre nos montures du jour. Impossible de ne pas jeter son dévolu sur l’unique Octavia RS entièrement stickée aux couleurs historiques de la 130 RS, gagnante du Monte Carlo 1977. Il y a autre chose qui n’a pas changé ici c’est la conduite à gauche. Je me lance dans la jungle Londonienne avec une certaine fébrilité. Finalement passées quelques minutes d’adaptation, on se fait rapidement à conduire du mauvais côté. Le vrai danger c’est quand le naturel prend le dessus. Regarder du mauvais côté à un carrefour, s’engager à l’envers sur un rond point ou oublier une priorité ne sont pas exclus. Le vrai conseil c’est quand même d’avoir un copilote. Celui ci pourra vous remettre dans le bon chemin et aussi, détail qui peut avoir son importance, vous indiquer si il est possible de doubler ou…attraper le ticket de parking ou de péage !
Palmarès à l’Est
Avant de prendre possession de notre beauté de l’est, il convient de faire un petit point historique. Je dois vous avouer que, si je ne connaissais pas le palmarès de notre bolide rouge, chez Skoda on en sait guère plus. Pourtant en cherchant bien on retrouve la trace des débuts en compétition de la 1100 OHC en 1958 dans plusieurs courses Tchèques. Après des débuts remarqués lors d’une course à domicile sur le circuit municipal de Mladà Boleslav, la barquette enchaîne les victoires aux 4 coins du pays. Il faudra attendre l’année suivante pour que son pilote attitré, Miraslav Fousek franchisse la frontière. Lors du Grand Prix de Leningrad, il bat les meilleurs compétiteurs Russes chez eux.
La 1100 OHC sera la pièce maîtresse du programme sportif du constructeur Tchèque jusqu’au début des années 60 et sera alignée en compétitions jusqu’en 1962. Mais le vent a tourné, et la standardisation des formules à l’ouest, avec l’apparition notamment des Formule 3, va rebattre les cartes. Skoda comprend que l’avenir est aux monoplaces et détourne son intérêt des protos. Deux exemplaires du Spider sont remisés à l’usine, l’une servant de donneuse de pièces de rechange à l’autre.
De Mladà Boleslav à Londres
Au cours de l’hiver 1968, Martin Svetnicka, un étudiant d’origine Tchèque ayant fui le pays pendant l’invasion Russe de 1948, demande la permission de visiter Prague pour les vacances de Noël. Martin est curieux de retourner au pays pour les vacances mais ce passionné de sport automobile a également une idée derrière la tête. Il rêve de voir le département sportif de Skoda. Au cours de la visite il tombe en admiration devant le prototype rouge qui se laisse mourir au fond de la cour de l’usine. Il manque des pièces à l’engin, il est oublié et laissé à l’abandon dans le gel depuis des années. Contre toute attente, chez Skoda on accepte de lui vendre la voiture contre une poignée de couronnes Tchèques.
Un petit garagiste local aide Martin à remettre en route la voiture et celui ci décide de rentrer en Angleterre à son volant avec ses effets personnels sur le siège passager. Nous sommes en hiver, la voiture ne possède ni pare brise, ni chauffage, ni toit. Le trajet se passe bien jusqu’à la frontière allemande synonyme de premiers ennuis pour notre aventurier. La voiture n’a pas de papiers et les douanes allemandes mettent la 1100 OHC en fourrière le temps que l’usine Skoda confirme la version de Martin. Mais il n’est pas rendu au bout de ses peines, un peu plus loin la voiture tombe en panne. Le seul garagiste du coin se montre alors plus que réticent à l’idée de s’impliquer dans la réparation d’une voiture qu’il n’a jamais vu, qui plus est conduite par un conducteur en partie congelé. Finalement devant l’insistance du pilote, le garagiste accepte le gardiennage de l’engin. Pour un mois, pas un jour de plus, sans quoi elle sera démontée et revendue pour pièces. Martin reviendra dans les délais avec un plateau et un ami et c’est ainsi que la Skoda 1100 OHC arrivera finalement sur le sol anglais.
Mais pour le déterminé Martin, cette belle histoire prend des allures de défaite. Devant l’impossibilité de trouver des pièces, l’absence de documentation, de temps et de compétences, il admet son incapacité à restaurer la voiture et la vend en 1972 au Midland Motor Museum. Malheureusement, le nouveau propriétaire ne se montre pas plus efficace à la restaurer et celle ci attendra son tour 15 ans au fond de la réserve du musée. Après une énième revente, l’engin atterrit dans la collection Rabagliati, qui lui redonne ses lettres de noblesse. La voiture est restaurée selon les règles de l’art et participe en 1989 au réputé Norwich Union Classic Car Run. En 1998, la voiture est mise en vente aux enchères chez Brooks Auction à Londres. Skoda UK se porte acquéreur de l’unique exemplaire survivant de 1100 OHC pour la somme de 46 600 livres. C’est cette même équipe de Skoda UK qui nous a convié à essayer cet exemplaire.
Bicester Heritage, 9AM
En matière d’automobile, les belles choses ne sont jamais décevantes. C’est un vrai plaisir de se faire caresser la rétine par le dessin pur et rationnel de cette beauté slave. Tous les pilotes vous le diront, une belle voiture de course est toujours plus efficace qu’une voiture aux lignes torturées, imaginez alors qu’en plus elle soit rouge. Demandez à un enfant de dessiner une voiture de course, elle ressemblera certainement beaucoup à celle ci, malgré ses 60 printemps. Notre 1100 OHC est unique et elle coule une retraite dorée. Elle roule régulièrement, bichonnée par des techniciens et mécaniciens passionnés, qui veillent sur elle comme sur un jouet précieux.
On aurait pu tomber sur des enfants capricieux qui ne prêtent pas leur jouet préféré mais les Anglais malgré tous leurs défauts, ont une qualité : ils savent qu’une bagnole est faite pour rouler plutôt que de prendre la poussière. Si il est de notre devoir d’attaquer les sujets de sa majesté sur leur bouffe immonde, leurs volants du mauvais côté, leurs prises de courant bizarres, leurs supporters de football, et leur volonté de récupérer la tapisserie de Bayeux, il est deux sujets sur lesquels ils sont inattaquables : le respect des traditions et leur amour démesuré de la chose automobile.
Royal Air Fun
A notre arrivée sur la piste, la belle nous tend les bras et on nous explique avec un large sourire qu’on dispose de la barquette Tchèque pour la journée. On se met d’accord avec les collègues de Rétroviseur et de l’Automobile Magazine pour faire les séances photo statiques le matin. La météo est formelle, il fera beau cette après midi, ce qui nous permettra de jouir pleinement du circuit. J’aurais pu rester des heures à regarder mes collègues de la presse écrite prendre des photos mais avec mon téléphone chinois avec lequel je suis sensé vous ramener un reportage, je vais pas faire illusion longtemps. Je décide donc de partir à la découverte des lieux.
Le Bicester Heritage est un endroit atypique. Vous ne pouvez pas être plus en Angleterre qu’ici. Pendant des décennies les allées délimitées par des bâtiments de briques rouges étaient fréquentées par les pilotes de la Royal Air Force. La base de la RAF a laissé place à un lieu de mémoire destiné à célébrer la voiture ancienne. Les artisans anglais ont pris possession des immenses baraquements pour y ouvrir des petits bouclards. Le tour du pâté de maison vaut le voyage. Ici on démonte un moteur de Riley les yeux fermés pendant que le voisin sélectionne les plus belles peaux pour refaire les cuirs d’une Jaguar. Quinze pas plus loin, je découvre des gamins en train de laver à l’éponge une Rolls. Le Spirit of Ecstasy, du haut de sa majestueuse calandre, ne semble pas s’émouvoir de la présence de sa voisine d’allée, une Polski Fiat 125 rouge communiste. La passion automobile ne connaît ni frontières, ni rideau de fer.
On nous avait prévenu le matin, cette après midi le crachin va cesser. C’est exact mais il a laissé place à une série de violentes averses. La flotte Anglaise vous attaque la peau comme une lame de rasoir, et aura raison de n’importe quel vêtement dit « technique » et « imperméable ». Là, en rentrant du déjeuner, je me dis que les mécanos vont perdre leur sourire. Contre toute attente, les gardiens du temple Tchèque sont imperturbables. Je viens de comprendre ce qu’est le flegme britannique. Il tombe des torrents de flotte sur nos gueules? Pas grave, l’Anglais a sa peau de chamois pour nettoyer la carrosserie. La piste est défoncée ? Et bien mon gars, si tu veux pas rouler dans les trous, tu te fais ta trajectoire à toi. Rien de surprenant alors qu’on nous laisse prendre le volant seul, sur le bitume détrempé, d’une fusée en fibre de verre, un prototype unique au monde.
Derrière le (grand) volant
Ce matin en voyant la taille de la voiture je me suis dit qu’y rentrer mon gabarit serait déjà une vraie victoire. J’enjambe la carrosserie du petit bolide rouge, pied droit posé sur la structure tubulaire. Je me tiens d’une main à l’appuie tête tandis que mon pied gauche vient se poser à son tour sur le tube traversant l’habitacle. Contre toute attente mon cul d’ours se cale parfaitement dans le petit baquet en cuir d’époque et après quelques efforts je me retrouve avec les baskets sur les pédales et un genou de chaque côté d’un volant à la jante incroyablement fine.
Hugo Baldy, véritable bible vivante de la voiture ancienne, et rédacteur en chef de Rétroviseur Magazine, me charrie depuis ce matin. « Pour enclencher la première, y’a une combine, mais je sais pas si je vais te la dire ». Finalement il se penche vers mon casque : « passe d’abord la 3, et aussitôt après la première, ça va ralentir l’arbre de transmission et ça va passer quasiment sans craquer ». C’est donc sous les regards approbateurs Anglais et Français que je pénètre sur la piste. La Skoda, hoquette, tousse, hésite, comme pour me faire comprendre qu’il va falloir prendre les devants. Je ne comprend pas aussitôt mais pour résumer ça signifie qu’il faut taper dedans sinon elle aime pas. Une voiture de course c’est fait pour monter dans les tours. Le second rapport passe avec la précision et la rapidité d’une DSG flambant neuve, j’entame le premier S avec un oeuf frais sous le pied. Elle se remet à tousser, même cause, même effet, je me décide à continuer ma découverte du circuit avec un peu plus de couple. Au bout de la ligne droite, le premier rétrogradage de 3 en 2 se solde par un petit craquement de boîte.
Je choisis donc d’adopter la technique du double débrayage. Pour passer de la 3ème à la seconde, je débraye, je passe au point mort, j’embraye à nouveau. Après un petit coup de gaz bien dosé, je débraye à nouveau et je passe la seconde. Je remarque au fil des tours que cette technique évite également les blocages de roues en bout de ligne droite, ce qui n’est pas un détail ici.
Après le deuxième passage devant la tente blanche, j’ai pris pleine possession du bolide. Place au plaisir. Et ici le mot est faible. L’engin est diablement efficace avec une poussée bien franche. Dans ces conditions météo très british, la piste est une vraie patinoire, surtout avec des roues de caddie. Rapidement je commence à entamer une série de dérives du train arrière, rattrapées académiquement par de petits contre braquages et de petits coups de gaz. Je redécouvre le plaisir de pilotage d’un karting. Le pilotage à l’état brut. A l’époque la 1100 OHC développait 93 chevaux à 7700 tours/minute avec une zone rouge à 8500. Cela peut sembler modeste mais pour l’époque c’est beaucoup et surtout avec son poids record de 550 kilos, cela donne le même poids/puissance qu’une Octavia RS 245 chevaux ! Même si l’équipe Skoda utilisait à l’époque souvent du carburant aviation pour optimiser la puissance, l’utilisation du carburant moderne permet sans aucun doute d’améliorer encore cette puissance.
J’imaginais une voiture inconduisible, je me retrouve avec un gros kart. Malgré l’apparente facilité, la vigilance reste de mise. Les réactions sont parfois brutales, le freinage est très très moyen, et la largeur des 4 pneus rappellent l’âge de la Skoda. Chaque passage de rapport doit être mûrement réfléchi, chaque entrée de virage finement dosée et chaque freinage en bout de ligne droite largement prémédité et calculé.
Une fois ces automatismes acquis, le reste n’est que bonheur. Les tours s’enchaînent, d’autant que les Anglais n’ont pas l’air décidé à interrompre mon tour de manège, à chaque tour j’ai le droit à de grands pouces levés, comme pour m’encourager à taper dedans encore et encore. La piste, tracée sur une ancienne piste d’atterrissage n’est pas très technique, il convient juste de faire attention à son revêtement qui a l’âge des bâtiments. Tour après tour, j’augmente la cadence, j’arrive désormais en bout de ligne droite à fond de 4 et retarde tour après tour mon point de freinage. Les vitesses de passage en courbe et le point de décélération évoluent après chaque passage et je me rend compte d’une chose : plus cette barquette est cravachée, mieux elle marche. Le moteur est hyper rageur et monte dans les tours avec une facilité incroyable. La bande son du moteur est à la hauteur, et vient renforcer le caractère unique de l’expérience.
De temps en temps le crachin cesse et une violente averse vient taper sur mon casque. Bien calé sur mon siège, sans ceinture de sécurité ou harnais, assis sur ce cercueil roulant, je me met à penser à ces pilotes des années 50 qui courraient en peloton au volant de ces bombes remplies de carburant. Il suffit d’observer la position de conduite pour comprendre que le moindre tonneau serait fatal. On se dit que si par miracle le choc ne tuait pas le pilote, l’incendie qui ne manquerait pas de se déclarer s’en chargerait.
Pour le plaisir
Je tourne encore pendant de longues minutes avant qu’on agite un drapeau à damiers en bord de piste, synonyme de Game Over. Difficile de dresser un bilan objectif après avoir piloté un engin aussi atypique et rare pendant toute une après midi. On en ressort avec la certitude qu’aucun ESP, ABS ou contrôle de trajectoire n’approchera jamais le plaisir ressenti au volant d’un engin comme celui ci. L’apparente simplicité de conception de l’engin peut être trompeuse. Nous avons passé la journée à nous extasier devant l’ingéniosité des concepteurs de l’époque. C’est construit intelligemment, avec plein de bon sens et surtout avec des technologies qui n’avaient rien à envier à celles de l’Ouest. Cette Skoda est un morceau d’histoire, l’appréhender à travers la fine jante de son volant, sous la pluie, au milieu d’un décor de cinéma, pendant de longues heures, restera un grand moment aussi pour Boîtier Rouge.
merci à Hugo Baldy de Rétroviseur et Alexis de Air-Style