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Projet Bobcat : la Ford Fiesta à 1 milliard de dollars

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Aujourd’hui et depuis plus de 40 ans, la Fiesta fait office de citadine du constructeur à l’ovale. Si cela semble évident de nos jours d’avoir une petite voiture dans sa gamme, cela n’a pas toujours été le cas. Retour au début des années 70, une époque où la plus petite Ford était l’Escort et où personne à Detroit n’avait l’intention que cela change. Niko vous raconte l’histoire du projet le plus cher de l’histoire de la marque.

Un constructeur mondial généraliste sans petite voiture

Au début des années 70, le géant Ford est solidement ancré sur les marchés qui comptent, à savoir l’Amérique du Nord et l’Europe via ses filiales allemandes et anglaises. Ford propose des véhicules adaptés aux USA avec d’immenses berlines et est présent sur les principaux segments européens avec les Taunus allemandes, les Anglia Britanniques (lire aussi : Ford Anglia) et même son nouveau fer de lance européen, la Ford Escort.

Tout va bien dans le meilleur des mondes, pourtant en 20 ans le monde a changé. En 1950 le marché mondial de l’automobile était de 7 800 000 voitures produites. 85% de cette production se vendait en Amérique du Nord. En 1970, le marché a explosé avec une production mondiale de 21 700 000 véhicules dont 41 % produites aux usa. On a jamais autant vendu de voitures dans le monde mais il y a un os : si en 1950 la part de marché mondiale de Ford était  de 24%, elle tombe 20 ans plus tard à 16,9 %. Les projections font état d’une PDM à 15,1 % en 1976 et à 13,9 % à l’horizon 1980. Depuis des années les filiales européennes réclament au siège de Dearborn une voiture de catégorie B plus petite que l’Escort.

Plusieurs propositions, signées Ghia

La concurrence est évidemment présente sur ce segment depuis longtemps avec les Fiat 126 et 127, les Renault 5 et 6, les Peugeot 104 (lire aussi : Peugeot 104) ou encore la Mini. Le marché des citadines chez Ford fait office de serpent de mer. La petite Ford c’est l’arlésienne. On en entend toujours parler mais on ne la voit jamais arriver. Sur l’insistance des européens, les études de marché s’enchaînent, on étudie la faisabilité, on réalise des esquisses et invariablement le couperet tombe. Les comptables de Detroit ne veulent pas entendre parler d’une petite voiture qui coûterait quasiment le prix d’une Escort à fabriquer mais qui serait vendue moins cher.

On ne gagne pas d’argent avec  les petites voitures

Pourtant une étude va faire vaciller les certitudes de l’état major de Ford. Le résultat de cette  étude de marché, menée à travers toute l’Europe de l’Ouest, est que sans une petite voiture moderne et pertinente, le groupe cédera irrémédiablement du terrain pour rétrograder derrière Fiat, Volkswagen, Renault, British Leyland, et Opel. Non seulement la clientèle réclame des citadines, mais il faudra qu’elle soit impérativement à traction avant. Les études le prouvent, si la citadine Ford était lancée, 13 % de ses utilisateurs l’échangeraient contre une Escort lorsque viendrait le moment de la remplacer.Si Ford reste absent de ce créneau, les jeunes iront acheter leur première voiture neuve ailleurs. Le monde a changé et en dehors des jeunes qui achètent leur première voiture et qu’il faudra fidéliser, on voit apparaître une clientèle pour une seconde voiture au sein du foyer.

L’idée qu’un propriétaire de Ford Taurus aille acheter la petite voiture de sa femme ou de son fils chez un autre constructeur n’enchante guère le réseau européen. Chez Ford comme chez tous les constructeurs américains, la traction n’est pas en odeur de sainteté. Outre le fait qu’on maîtrise mal cette technologie, celle-ci implique de concevoir une usine pour fabriquer des trains avant ou d’en acheter à des concurrents. Cela renforce encore plus le sentiment de méfiance des comptables américains vis à vis du projet. Mais la décision appartient à Henry Ford II qui est bien conscient de l’obligation de vendre des citadines. A propos de la citadine, il déclare “pour l’instant nous n’avons pas pu nous offrir ce luxe, peut-être que bientôt le luxe que nous ne pourrons pas nous offrir sera de ne pas la construire”.

Henry Ford II donne son accord pour poursuivre le développement du projet mais fixe ses conditions. Il alloue un budget de 200 000 dollars à un jeune cadre de 25 ans, Jim Donaldson, qui devra en un an, prouver que c’est possible et réaliser un premier prototype. Jim décide de se rapprocher de la base allemande de la marque, réputée douée en prototypage. La seconde condition est de faire de ce projet un projet mondial. Au terme de la première année, suite à la production d’un premier prototype, on continuera le développement à Detroit et on enverra le bébé à l’Europe pour finaliser le véhicule.

Pourtant au siège de la marque, rien n’est encore décidé. Un jeune cadre plein d’avenir, Lee Iacocca, entre alors dans la danse et résume la situation lors d’une ultime réunion du board : ”Imaginez un marchand de chaussures qui ne proposerait rien en dessous du 38. Vous iriez acheter les chaussures de vos enfants ailleurs. Croyez vous un seul instant que les clients reviendraient chez ce marchand le jour où ils chausseront du 40 ou du 43 ?”. L’argument fait mouche. L’objectif est devenu beaucoup plus ambitieux. Non seulement il faut absolument faire une petite voiture mais elle devra être mondiale, instaurer dans l’entreprise une nouvelle façon de travailler, elle devra coûter 100 dollars de moins que l’Escort à fabriquer, être indémodable pour connaître une carrière assez longue pour être rentable et surtout elle devra sortir vite.

Commence alors une course contre la montre. Les deux ennemis, hormis le temps, sont le poids et l’argent. Pour prouver qu’il est possible de construire une citadine rentable on va acheter puis désosser entièrement 30 voitures de la concurrence. Ainsi on commence le démontage minutieux de Fiat 127 et 128, Honda 600 et Civic, Toyota, Datsun Cherry, Austin Mini, et même les Escort et Pinto de leur propre marque. 14 sous ensembles sont répertoriés, allant de la carrosserie au moteur, en passant par le poste transmissions, ou freins, ou échappement. Dans chacun de ses sous ensembles les pièces sont répertoriées, identifiées, étiquetées et consignées sur d’immenses tableaux de 1,20 m sur 2,40. Des dizaines de tableaux qui sont photographiés.

L’objectif est simple, on classe le prix de chaque pièce, le moindre boulon a son prix, son poids et un classement est réalisé. On détermine alors combien doit coûter un volant, un siège, une pédale de frein ainsi que son poids idéal. Au terme de chaque choix, un arbitrage intervient. Si on décide pour des questions de tenue de route d’investir dans la suspension, on doit enlever du coût sur un autre élément et ainsi de suite. Après quelques mois, l’équipe a gagné, la future citadine coûtera même moins cher que prévu à fabriquer. Mais ça c’est sur le papier, et le plus dur reste à faire. Concevoir une traction avant en partant d’une feuille blanche et en un temps record.

Soeur de Fiat 127 !

Au cours d’un voyage en Italie en compagnie de sa femme, Lee Iacocca prend possession à l’aéroport d’une Fiat 127 qui le suivra pendant ses vacances. Dès lors, conquis par les prestations de la petite Italienne, il fera de la Fiat la voiture à battre. Mais avant de lancer le développement de la voiture qui devra faire mieux que la Fiat, il faut en définir le concept et pendant des mois on hésite sur un point important : traction ou propulsion ?

Aujourd’hui ça nous parait évident mais à l’époque Ford ne savait pas vraiment faire de traction comme tous les constructeurs américains. Au départ les comptables américains réfutent toute idée de traction pour la Bobcat. Mais les études de marché menées en Europe mettent à mal ces certitudes. L’européen veut une traction et il est impossible de vendre une petite voiture en Europe qui soit une propulsion. Dans un premier temps la Fiesta a bien failli avoir le même train avant que la Fiat 127. On organise des rencontres à Turin entre les dirigeants Ford et Fiat et les ingénieurs commencent à faire des groupes de travail. Mais au moment de trancher et de prendre la décision, Henry Ford se laisse convaincre qu’il sera plus simple et pas plus coûteux de fabriquer les trains avant en interne.

Malgré les rencontres entre Agnelli et Ford, et la volonté de ce dernier de parvenir à un accord, il y a deux points qui coincent. Bill Heyden, responsable de la fabrication, rappelle à son patron que les transmissions Fiat ne sont plus toutes jeunes et que Ford peut parvenir à un meilleur résultat en les développant lui même. Deuxièmement le projet d’accord prévoit une production en Espagne, au sein de l’usine SEAT. C’est ce point là qui sera décisif. Henry Ford pense qu’il sera très difficile pour Fiat et encore plus pour Ford de maîtriser la fabrication, les délais ou encore le contrôle qualité dans une usine éloignée et où Fiat n’est pas vraiment le patron.

Le temps presse et la Fiat 127 arrive en tête sur de nombreux points, le volume du coffre, la praticité, les qualités dynamiques. Pour gagner du temps on va partir directement d’une Fiat 127 pour concevoir la Ford. Ou plutôt de deux. Une première équipe, celle des moteurs va développer la mécanique de Bobcat et l’essayer dans une carrosserie de Fiat 127. Une seconde équipe va concevoir la carrosserie et le châssis de la future Fiesta sur une mécanique de Fiat. A la fin on assemble le travail des deux équipes et on obtient la Fiesta. On gagne du temps et cela permet de travailler en parallèle en gagnant un précieux temps.  Ne soyez pas étonnés si les Fiat 127 et la Fiesta partagent des dimensions très proches, des trains avant très ressemblants, et au final de beaucoup de points communs.

Le plus grand projet de l’histoire de la marque

Après quelques mois de travail, il faut choisir un nom de code à la plus grosse opération de l’histoire de la marque américaine. Le 2 octobre 1972 on se réunit en petit comité dans le bureau de Sperlich, coordinateur du projet. Décision est prise de donner au projet un nom d’animal, commençant par B, comme B-cars, nom du segment de la Fiesta. En quelques minutes le nom tombe, ce sera Bobcat. Deux jours plus tard, une photo du Lynx trône au dessus du bureau de l’équipe.

Le nom de l’opération Bobcat donnera lieu à une anecdote peu banale. Alors qu’un des membres du commando Bobcat se fait muter à Detroit, ses collègues veulent lui offrir un cadeau de départ. Les gars ont une idée : offrir un Bobcat, un vrai, empaillé, à leur ami. Justement ça tombe bien, Erick Reickert, un des pontes du projet enchaîne les aller-retour entre l’Europe et l’Amerique. On lui confie alors une mission de la plus haute importance stratégique : trouver un Bobcat et le ramener pour la soirée de départ de ce bon vieux Phil Caldwell. Après plusieurs refus, et devant l’insistance de tout le reste de l’équipe, Reickert se résigne à ramener l’animal qu’il a déniché chez un naturaliste de la banlieue de Detroit. La bestiole empaillée trônera au 12ème étage du siège Ford de Dearborn mais Reickert va plus loin. Il fait une photo du Lynx, et fait graver chez un artisan local des petits badges de bronze avec la tête du Bobcat.

Le 2 octobre 1973, à Cologne, 150 cadres de Ford sont décorés de l’ordre du Bobcat. Ils constituent l’équipe de base du projet. Depuis la Ford T jamais chez Ford on a fait de voiture universelle. Le chantier est énorme et la logistique compliquée. Pour atteindre le seuil de rentabilité du projet Bobcat, il faudra également la vendre aux USA et on développe une version américaine. Mais faire travailler des équipes de chaque côté de l’atlantique n’est pas simple. Les cadres multiplient les vols transatlantique. Cette opération permettra de faire de la marque une vraie marque mondiale. Dès 1967 la marque était passée au système métrique pour uniformiser son langage, développer un modèle en partant d’une feuille blanche marque une étape supplémentaire pour souder des équipes situées à plusieurs milliers de kilomètres les unes des autres. La réussite dépend de la capacité de ses filiales allemandes et anglaises à faire taire les dissensions, les différences de culture et les petites fiertés de chacun. A une époque où les Ford Capri produites en allemagne n’ont pas les mêmes moteurs que celles produites outre manche, le défi est énorme (lire aussi : Ford Capri).

On fonde Ford of Europe avec un seul but, résumé par Henry Ford : “Il n’y a qu’un seul Volkswagen, un seul Fiat, un seul Peugeot, il n’y aura qu’un seul Ford en Europe !” Le projet Bobcat coûte un milliard de dollars et ce bon vieux Henry a l’intention de ne pas se louper pour des histoires de villages qui se font la guerre.

La Fiesta sera Espagnole

Dès le début du projet Bobcat se pose la question de l’usine qui sera en charge de la produire. Il s’agit d’un nouveau segment pour Ford et cela nécessite des capacités de production supplémentaires. Les usines allemandes et anglaises sont occupées par les autres gammes et par la nouvelle Escort et il est impossible ou presque de les agrandir. Lors de sa dernière visite en France, Henry Ford a promis au président Pompidou que la prochaine usine Ford serait construite en Hexagone mais il y a un os. En additionnant tous les marchés de la future Fiesta on arrive à un potentiel d’environ 140 000 voitures par an. Chez Ford, il est admis depuis toujours qu’on ne bouge pas le petit doigt pour construire une nouvelle usine si on a pas 250 000 voitures à produire.

Le compte n’y est pas mais la solution vient un jour aux oreilles d’Henry Ford. Il faut investir le marché Espagnol. On refait les calculs, et en effet produire en Espagne pourrait être la solution. Le marché Espagnol est fermé, pour s’y installer il faut s’associer avec un local à hauteur de 50%, la voiture produite doit être à 95% espagnole, et tout ce que vous importez sera taxé à 30%. Pourtant si la législation change, le calcul est simple. On estime qu’on pourrait vendre 100 000 voitures par an en Espagne, qu’on rajoute aux 140 000 produites pour le reste de l’Europe, ça fait 240 000 et l’usine devient rentable.

Il faudra un peu de patience et de persuasion pour convaincre les autorités espagnoles de changer la loi mais le feu vert est donné. La citadine Ford sera espagnole. Dès lors on lance l’opération Eagle. L’opération Eagle c’est une sorte d’aigle qui doit fondre sur l’Espagne pour y monter une usine. Pour construire une usine il faut trouver un terrain, de la main d’oeuvre et une volonté locale. Un jeune cadre de la marque est envoyé là bas toutes les semaines. Il a la priorité sur tout le reste et à même accès au jet privé de la direction de Ford pour ses déplacements. Dick Holmes parcourt le pays à la recherche d’un terrain.

La Ford Fiesta dans sa version US

La nouvelle fait le tour du pays. A Talavera de la reina, le maire n’y va pas par quatre chemins. Il demande à sa population d’écrire à Henry Ford pour lui témoigner l’envie de la ville d’accueillir l’usine. Ce sont 75 000 lettres qui arrivent sur le bureau de Dearborn. Henry embauche une équipe chargée de répondre individuellement à chaque courrier. Malgré cette déclaration d’amour, ce sera finalement un site près de Valence qui sera retenu.

Il reste encore à choisir un nom à Bobcat. On aurait bien gardé ce nom mais il a depuis été pris par Mercury pour un autre modèle mais surtout il n’évoque pas grand chose dans la majeur partie du monde. Il faut un nom court, facile à prononcer, universel, continental, dont la signification est la même partout, crédible, optimiste, sympathique et ce nom ne doit appartenir à personne. Autrement dit c’est pas gagné. On sollicite l’imagination des cadres Ford aux 4 coins de monde et une première liste de 50 noms, puis 13  est retenue. Il faut faire un choix entre Amigo, Bambi, Bébé, Bolero, Bravo, Cherie, Tempo, Chicco, Fiesta, Forito, Metro, Pony et Sierra.

Rapidement Bravo prend le dessus, d’autant que le nom n’est déposé par personne. Pourtant à chaque réunion le débat fait rage. Un jour un cadre suggère à Henry Ford de lui donner un nom de ville. On lui suggère Nice mais en allemand ça se dit Nizza. Le cadre insiste et suggère à Monsieur Ford de lui donner un nom de station de ski allemande. Henry Ford qui ne manque pas d’humour et qui commence sérieusement à en avoir plein le dos de cette histoire de nom lui lance : “super idée ! appelons là “Garmisch Partenkirchen” et n’en parlons plus ! Finalement on retient deux noms en finale, Fiesta et Bravo et ce sera Henry qui en déclamant le nom dans son bureau porte son choix sur cette fête à l’espagnole.

Une icône est née, la Fiesta est lancée.

La première Ford Fiesta sort des chaînes de montage en mai 1976. Depuis ce jour, et en plus de 40 ans, ce sont plus de 17 millions d’exemplaires de la Fiesta qui ont été construits à travers le monde. Si vous souhaitez aller plus loin sur ce sujet, la plupart des infos de cet article provient de l’excellent livre d’Edouard Seidler “Opération Fiesta” sorti en 1976. L’histoire de ce bouquin est à elle seule un vrai roman. Seidler qui rencontre Ford à une présentation presse en Septembre 1973 l’interroge sur une éventuelle petite Ford. Henry Ford lui confirme à demi mots “étudier la question”. Seidler lui propose un bouquin sur la genèse de la première petite Ford. Il aura accès à tous les secrets et toutes les étapes de la mise au point du modèle.

La légende dit qu’à l’époque Seidler touchera 100 000 francs de l’époque payés par Ford pour écrire ce livre ! (soit 64 000 euros de 2018). Il est évidemment épuisé depuis longtemps mais il est possible de le trouver sur ebay ou dans une brocante pour une petite vingtaine d’euros.


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